Connaitre l’histoire de l'avortement permet de comprendre les jeux de pouvoir, les enjeux sociétaux et l’évolution des discours. Quelle est donc l'histoire de l'IVG depuis l'antiquité jusqu'à nos jours ? Quels sont les événements majeurs du droit à l'avortement en France au XXᵉ siècle ?
Le droit à l'avortement, est un droit acquis de longues luttes. Pour défendre ce droit et rendre hommage aux personnes qui nous ont précédés et qui se sont battues pour que les femmes puissent choisir la maternité ou non, il nous faut en connaître l'histoire. Cela permet de comprendre les enjeux actuels du droit à l'avortement, pour d'en saisir les subtilités et les dangers. Rappelons que l'histoire de l'IVG et les tensions politiques qu'elle peut cristalliser sont intrinsèquement liées au contrôle des naissances et donc au contrôle du corps des femmes.
L'avortement en France : évolution de l'Antiquité à nos jours
Récapitulatifs des dates essentielles du droit à l'avortement en France
L'avortement en France : évolution de l'Antiquité à nos jours
Les femmes ont toujours interrompu des grossesses, mais les premières traces d'avortement remonte à l'antiquité.
L'Antiquité
Durant cette période, il n'y a pas de problème particulier, il n'est pas encore question d'atteinte à la vie. Ce qui importe, c'est que le père consente à l'avortement. La seule chose qui compte, c'est l'honneur et l'intérêt du pater familias. De toute manière, pendant très longtemps, on est incapable de faire la différence entre un avortement spontanée (dit fausse couche) et un avortement provoqué, et les méthodes d’avortement à cette époque ne sont pas au point.
Le Moyen Âge et le début de l'avènement du christianisme
Avec la religion, le fœtus se voit doter d'une âme et donc l'avortement devient un crime pour le dogme un. Toutefois, la morale chrétienne demeure longtemps ambiguë, notamment parce que les idées d’Aristote restent très présentes et notamment celle selon laquelle la vie s'animerait à la naissance et non à la conception. L’avortement est donc un crime pour le dogme, mais pas pour la loi ! Il est toujours quasiement impossible de distinguer un avortement spontané, d'un avortement provoqué.
16ᵉ siècle
La répression se sécularise (c'est-à-dire qu’elle passe de l’église à l’état), passant ainsi des tribunaux ecclésiastiques à la justice royale. En 1556, un édit royal punit de mort la dissimulation de grossesse et l’infanticide, mais sans mentionner l’avortement, même s'il est illégal. À cette époque, les discours à ce sujet sont très durs, il faut punir les femmes qui avortent.
Après avoir constitué un crime contre l’autorité paternelle, puis contre Dieu et la morale, l’avortement devient un crime contre les intérêts de la société et de l’État.
Les lumières (18ᵉ siècle) et la révolution française (1789)
Durant cette époque, les discours vont faire reculer l’influence de l’Église. Ils vont s’inverser « si les femmes avortent, c'est qu’elles sont victimes de quelqu’un ou d’une situation », mais l’avortement reste illégal. La révolution française dans la foulée décide qu’il n’y a pas de peine pour les femmes qui avortent. Des peines pour les avorteuses peuvent être appliquées, mais pas très lourde.
Le code Napoléonien va changer la donne : il faut dire que le code Napoléon pour les femmes, c'est la catastrophe.
Le 19ᵉ siècle
En 1810, l'avortement devient un crime pour lequel l'avorteur·euse, mais aussi la femme qui requiert l'avortement, sont passibles de peine de mort, sauf que ce n'est pas appliqué. Selon l'histoire judiciaire du 19ᵉ siècle, la grande majorité des avorteur·euses et des avortées sont acquitté·e·s, une des raisons est que le 19ᵉ est malthusien. L'Etat relaie un discours selon lequel « il ne faut pas avoir trop d'enfants, si les familles ont trop d'enfants, elles se précipitent dans la misère ». C'est une époque durant laquelle les mairies donnent des prix de tempérances aux familles qui ont limité leurs naissances même si elles ont pratiqué des avortements.
Fin du 19ᵉ, début 20ᵉ
Le courant du néomalthusianisme ira encore plus loin dans la limitation des naissances, en encourageant l'avortement et en en faisant un discours féministe. À cette époque, dans les journaux, il y a des publicités pour les avoteur·euse.
On peut lire sous le dessin "Pleurez pas tant, ma petite ... il est mieux là qu'à l'assistance"
Après la 1ʳᵉ guerre mondiale
Suite à la saignée démographique de la guerre, il faut repeupler la France. Des discours populationnistes vont émerger (ils existaient déjà avant mais seulement dans certains milieux). L'état devient nataliste : « il ne faut plus avorter, il ne faut plus de contraception, il faut faire des enfants ». L'avortement n'est plus un crime condamné par la religion, il devient un crime antinational et antipatriotique. La pénalisation va devenir croissante : sous Vichy, c'est la peine de mort pour les avorteurs·euses.
Entre les 2 guerres
La répression de l’avortement est renforcée (il faut s’imaginer le contexte franco-allemand de l’époque, la course à l’armement, le besoin d'homme à envoyer au front ...). Le 1ᵉʳ aout 1920, une loi est promulguée qui interdit ne serait-ce que la simple incitation à l’avortement et la propagande anticonceptuelle. Mais le pire, c'est la loi de mars 1923.
Il faut comprendre que Dans le code « Napoléon » de 1810, l’avortement était défini comme un crime, jugé par une cour d’assises (c'est-à-dire un juré de citoyens qui participe aux côtés des magistrats au procès). Il était puni d’une peine de réclusion criminelle (la peine de mort). En réalité, les personnes étaient souvent innocentées parce que les jurés citoyens face à des femmes qui expliquent la misère, les viols, les violences ou toutes difficultés qu’elles rencontrent, entre la peine de mort et acquitter, ils choisissaient d’acquitter. Les membres du corps médical ayant pratiqué un avortement étaient, eux, passibles des travaux forcés.
Le 23 mars 1923, les députés changent la législation. L’avortement devient un délit et non plus un crime. La peine c’était la peine de mort, ça devient la prison ; donc en théorie cela serait préférable, mais en fait pas du tout ! Comme il devient un délit pénal, les femmes passent devant des juges issus de la magistrature dans des tribunaux correctionnels, uniquement composés d’hommes (je vous laisse imaginer l’ambiance) et non plus par un jury d’Assises. A la différence des jurés citoyens, les magistrats professionnels sont beaucoup moins cléments, les amendes et les peines de prisons deviennent presque systématiques. On passe d’environ 55 à 80 % de personnes innocentées à 25 % seulement.
Sous le régime de Vichy (1940-1944)
La répression, la criminalisation et la pénalisation vont devenir croissantes. Sous Vichy, avec la loi du 15 février 1942, c’est la peine de mort pour les avorteuses.
Le 30 juillet 1942 : pour avoir procédé à 27 avortements, Marie-Louise Giraud est guillotinée. Un an plus tard, le 22 octobre 1943, Désiré Pioge est exécuté pour avoir aidé 3 femmes à avorter.
La loi de 1942 est finalement abrogée à la Libération. L’avortement n’en restera pas moins un délit et sera réprimé pendant 30 ans.
Ce qu’il faut retenir, c’est que dans l’histoire françaises la criminalisation et les discours très durs sur l’avortement durent une cinquantaine d’année !
Les années 50-60 et la 4ᵉ république
On l'oublie souvent, mais durant cette période l'ordre moral était très dur, pour les femmes (mais aussi pour les homosexuels). Les avortements clandestins se multiplient, parce que de faite, c'est aussi un moment de libération générale des mœurs et donc il y a plus de situation pour tomber enceinte. Les condamnations sont systématiques et extrêmement dures. Il y a beaucoup de mortes avec les avortements clandestins.
L’avortement à cette époque est la première cause de décès des femmes.
Les années 1970
Dans les années 1970, ça bouge enfin ! grâce au planning familial, au MLF (Mouvement de Libération de la Femme), au procès de Bobigny (avec Gisèle Halimi), au manifeste des 343 salopes, et celui des 313 médecins, et après à la loi Veil (1974/1979), la contraception va être autoriséz mais toute publicité en sa faveur reste interdite. Mais entretemps, il y a la méthode Karman qui fait son apparition et cette méthode mérite un petit zoom (lire l'article à ce sujet).
Aujourd'hui en France, l'avortement est légal : mais les conséquences des politiques austéritaires, le manque de moyens de l'hôpital, et les changements structuraux, font que c'est légal, mais de moins en moins accessibles. De plus en plus de femmes ne peuvent pas avorter parce que les services ne sont pas ouverts suffisamment, parce qu'il n'y a pas assez de personnel, parce que ça ne rapporte pas dans les logiques actuelles et ça, c'est très grave et c'est très peu dénoncé ! En pratique, l'avortement est freiné en France par les politiques libérales qui sont menées depuis quelques années !
Retrouvez l'historienne Mathilde Larrere, dans le Sommet sur l'IVG qui nous parle de l'histoire de l'IVG en France de l'antiquité jusqu'au enjeux actuels !
Récapitulatifs des dates essentielles
du droit à l'avortement en France
1955 : l'avortement thérapeutique est autorisé. Mise au point de la pilule contraceptive aux États-Unis.
1967 : la loi Neuwirth autorise la contraception, mais la publicité en sa faveur reste interdite.
1972 : création des centres de planification et des établissements d'information. Procès de Bobigny.
1973 : introduction de l'éducation sexuelle dans les lycées et collèges.
1974 : la contraception est remboursée
par l'assurance-maladie. Anonymat et gratuité pour les mineures et non-assurées sociales dans les centres de planification.
1975 : la loi Veil dépénalise l'interruption volontaire de grossesse.
1979 : vote définitif de la loi sur l'IVG qui devient légal.
1981 : arrêt Lahache : la femme est seule juge de la nécessité de recourir à l'IVG.
1982 : remboursement de l'IVG à 70 % par l'assurance-maladie.
1990 : l'IVG médicamenteuse (utilisant la mifépristone) est autorisée en milieu hospitalier.
1993 : dépénalisation du délit d'auto-avortement et création du délit d'entrave à l'IVG.
2000 : autorisation de la délivrance sans ordonnance des contraceptifs d'urgences ; elle se fait pour les mineures à titre gratuit dans les pharmacies ; les infirmières scolaires sont autorisées à administrer une contraception d'urgence dans les cas de détresse.
2001 : La loi autorise une IVG jusqu'à un max. de 12 sem. de grossesse
2004 : l'IVG médicamenteuse est autorisée en médecine de ville.
2007 : l'IVG médicamenteuse peut désormais être délivrée dans les Centres de planification et d'éducation familiale (CPEF).
2013 : l'IVG est remboursée à 100 % par la sécurité sociale et le tarif de l'acte médical revalorisé pour augmenter le nombre de praticiens ; un site gouvernemental dédié ivg.gouv.fr est lancé par Najat Vallaud-Belkacem.
2014 : la loi Vallaud-Belkacem supprime la condition de détresse avérée que la loi de 1975 exigeait pour ouvrir droit à une IVG.
2016 : Promulgation de l'extension du délit d'entrave à l'IVG aux plateformes numériques ; suppression du délai minimal de réflexion d'une semaine ; sages-femmes autorisées à pratiquer des IG médicamenteux ; REMBOURSEMENT à 100 % de TOUT LE PARCOURS avec le libellé « FORFAIT MÉDICAL » pour garantir l’anonymat (sur les fiches de remboursement)
2022 : adoption de la PPLIVG portée par Albane Gaillot :
allongement du délai d'accès à l'IVG de 12 à 14 semaines de grossesse
possibilité pour les sages-femmes, profession médicale à part entière, de pratiquer les IVG chirurgicales
suppression du délai de réflexion de 2 jours imposés suite à un entretien psychosocial
création d'un répertoire des professionnel·le·s et des structures pratiquant les IVG
Plus d'information :
Visionnez cette vidéo dans laquelle Mathilde Larrère, historienne française, retrace l'histoire de l'avortement en France de l'antiquité à nos jours : LIEN.
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